Une tribune de Sandra Joly Guicheteau, Directrice Générale Adjointe et Head of Consumer Branding chez Lonsdale, publiée dans Stratégies – novembre 2025.

 

À l’heure où les marques rivalisent d’IA pour créer de l’« engagement », une autre forme d’intimité résiste : celle du toucher. Le design produit et le packaging incarnent la relation la plus sincère et la plus durable entre une marque et la vie des gens.

Le packaging n’est pas mort, il résiste. Mieux : il devient l’un des derniers territoires d’émotion vraie. À l’heure où les marques accélèrent sous l’impulsion de l’IA, multipliant les contenus pour générer toujours plus d’engagement, il reste un point d’ancrage plus fort et plus durable : le produit, et son design.

La course à l’intimité

La nouvelle course des entreprises technologiques — et donc des marques —, c’est la course à l’intimité. Créer de la proximité, de la personnalisation, du lien émotionnel. Mais cette intimité, calculée par algorithmes et optimisée par données, reste une illusion de chaleur : elle imite la relation sans jamais la vivre vraiment.

Or, il existe une forme d’intimité qu’aucune IA ne peut reproduire : celle du toucher. Tenir un produit dans sa main, l’ouvrir, le sentir, le garder. Cette expérience-là n’est pas mesurable en clics : elle appartient au domaine du sensible, du geste, du quotidien.

De fait, si on y pense, le design d’un produit ou son packaging sont les seuls éléments de marque que l’on fait littéralement entrer dans sa vie. On les touche, on les déballe, on les garde, parfois on les offre. Ils s’invitent dans nos intérieurs, nos routines, nos émotions. Ils deviennent des compagnons du quotidien, des repères visuels et sensoriels qui prolongent la marque au-delà du discours.

Pour certains, ils vont même plus loin : ils ravivent nos souvenirs. La boîte bleue de Nivea, la jaune de Nesquik, le perroquet de Tropico : ces « doudous émotionnels » réveillent une nostalgie d’enfance, des étés, des gestes familiers. Ils prouvent que le design peut créer une relation sincère, enracinée dans le temps.

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Quand tout se ressemble

Jamais les marques n’ont eu autant d’outils pour exister. Et avec l’IA, elles peuvent tout accélérer, tout produire, tout générer : des mots, des images, des campagnes — en un instant. Mais à force de vouloir alimenter les plateformes et séduire les algorithmes, les marques courent le risque de toutes se ressembler. À produire pour être vu par des machines, on fabrique de l’attention, mais on oublie le beau, le singulier, le tangible. La créativité se fond dans le flux, l’identité s’efface derrière la performance immédiate.

Dans ce contexte, le design redevient essentiel. C’est lui qui fait exister la marque dans la main, dans le regard, dans le réel. C’est lui qui crée la différence quand tout, ailleurs, s’uniformise.

Apple, Toblerone, Carambar : chacun a fait du design un langage universel. Et Ricard, fidèle à sa culture de l’objet entreprise par son fondateur, continue d’incarner cette vision et de faire du design un langage populaire. Sa dernière innovation – un format à boire directement à la bouteille – prolonge cette logique : un geste simple, immédiat, sincère, où le jaune emblématique redevient signe de lien et de convivialité.

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Une démonstration simple : on peut transmettre toute une culture sans un mot — juste par la forme, la couleur, la matière. Le design produit et le packaging sont la preuve tangible d’une promesse tenue. Ils incarnent ce que la marque affirme, dans un monde saturé de discours générés. Et peut-être que la vraie modernité n’est pas dans la quête d’engagement artificiel, mais dans la redécouverte du contact humain à travers les objets. Dans un monde de marques pilotées par la donnée, la vraie valeur se mesurera peut-être bientôt non pas en clics, mais en empreintes : celles que laissent les objets dans nos vies.