Une tribune de Muriel Schildknecht, Directrice de la Création de Lonsdale Asie dans CB News, le 02 juin 2025.

Changer ou ne pas changer : voilà l’éternel dilemme qui hante les marques au moment de repenser leur identité. Ce n’est jamais une décision anodine. Derrière une apparente logique de design, il mobilise des choix de posture, de culture, de récit. Et en tant que jurée dans la nouvelle catégorie Brand Identity Refresh des D&AD 2025, j’ai eu le privilège d’observer ce processus dans toute sa richesse : des cas spectaculaires, des gestes subtils, des paris audacieux — et toujours, cette même question latente : quand une marque choisit de se réinventer, doit-elle tout changer… ou au contraire, ne rien changer ? Évidemment, il n’y a pas de réponse absolue. Ce qui compte, c’est la clarté de la destination. Un rebranding réussi n’est pas forcément une révolution, ni une simple opération cosmétique. C’est une transformation orchestrée avec justesse, parfois discrète, parfois radicale, mais toujours guidée par une intention solide. Ce chemin, lorsqu’il concerne des marques installées, demande une grande rigueur stratégique — et une bonne dose de courage mesurée, car l’audace ne s’exprime jamais de la même manière chez une startup que chez un géant patrimonial.

Quel effort a été consenti pour y parvenir ? Car on ne peut juger de la même façon une jeune pousse de la tech et un colosse comme Walmart. L’échelle, la complexité, l’héritage, le nombre de parties prenantes changent la donne. Il faut savoir lire entre les lignes de l’exécution : quelle est l’ambition réelle du projet ? Prenons un exemple qui a fait débat cette année : le rebranding de Jaguar. Exit le félin bondissant, place à une typographie réinventée et à une palette chromatique inattendue, rose compris. Un virage si radical que la marque a été présentée dans la catégorie Création d’une nouvelle identité plutôt que Refonte. Une décision assumée, peut-être pour souligner une volonté de renaissance. Mais une question demeure : à vouloir paraître nouveau, ne perd on pas la mémoire de ce qui a bâti la marque ? Le jury a tranché : on ne peut nier son passé à ce point. Tactiquement, cela n’a pas payé.

À l’opposé, le cas de l’Orchestre de Chambre de Paris nous a offert un autre type de débat. Son identité visuelle s’est appuyée sur un langage d’illustrations empruntant aux codes des emojis — une grammaire que certains membres du jury ont jugée déjà vue. Mais replacée dans le contexte très institutionnel de la musique classique, cette approche prend un tout autre relief. C’est justement ce jeu entre familiarité populaire et exigence artistique qui a marqué les esprits. Cette esthétique simplifiée, lisible, presque ludique, contribue à démocratiser l’image de l’orchestre, à ouvrir une porte vers des publics plus jeunes ou moins initiés. Ce projet illustre parfaitement comment un rebranding peut oser sans brusquer, moderniser sans effrayer, changer pour inclure. Il nous rappelle que la nouveauté est toujours relative. Car changer, même avec brio, ne suffit pas. Le mythe du bon travail qui parlerait de lui-même ne résiste pas à la réalité du terrain. Plus une idée est forte, plus elle génère de résistance. Il existe une aversion naturelle au risque, et c’est pourquoi le rebranding, pour réussir, doit ménager un espace de familiarité. Il a besoin de ce détail qui fait lien entre ce que la marque fut et ce qu’elle veut devenir. Un pont. C’est dans cette tension entre curiosité et réassurance que se joue l’impact réel d’un rebranding. Ni choc brutal, ni conservatisme ennuyeux. Mais un dialogue entre hier et demain.

Ce qui distingue profondément un rebranding d’une création de marque, c’est justement ce rapport à l’origine. Un bon rebranding ne renie pas, il recompose. C’est pourquoi, au sein du jury D&AD, nous avons ajouté à nos critères — stratégie de marque, excellence de l’exécution, adéquation à l’objectif (fit for purpose) — un prisme supplémentaire : celui de l’originalité fidèle. En quoi ce nouveau discours visuel prolonge-t-il l’idée fondatrice ? Et en quoi la renouvelle-t-il avec singularité ? L’originalité ici, c’est la capacité à surprendre sans trahir.

Cette exigence prend tout son sens face aux marques tech. Nombre d’entre elles — OpenAI, Mozilla, Amazon — ont grandi sans se penser comme des marques. Elles ont été des projets, des produits, des plateformes. Et aujourd’hui, elles se structurent, s’organisent, se pensent enfin comme des marques, avec une voix, une posture, une esthétique. Leur rebranding n’est pas une simple modernisation graphique. C’est un acte fondateur, une mise en récit de leur maturité. Le design devient ici un outil de clarification stratégique, un langage au service d’une identité en construction.

Le rebranding est un art d’équilibriste : celui de la mue sans amnésie, de la rupture sans déconnexion. Il exige une vision claire, une exécution rigoureuse, mais aussi une profonde intelligence du contexte. Cette année, les projets qui ont marqué le jury D&AD n’étaient pas forcément les plus démonstratifs. C’étaient ceux qui, dans une époque en quête de repères, ont su faire émerger une idée simple, forte, cohérente — et profondément fidèle à ce que la marque avait de plus singulier. Ceux qui n’ont pas tout changé, ni rien changé. Mais simplement mieux fait résonner la même histoire.