Comprendre, anticiper, s’ajuster : depuis 8 semaines, les cerveaux des marketeurs se contorsionnent au fil des études, enquêtes et rapports en tous genres, qui tentent de mieux cerner les conséquences de la crise covid-19. Pour croiser les expertises, l’agence de branding et design Lonsdale a organisé hier un Webinar riche en enseignements. En collaboration avec INfluencia, une réflexion anthropologique et collective intitulée : « L’empreinte de la crise : qu’en restera-t-il ? ». Compte-rendu en 3 points.

Sur la société, les modes de vie et de consommer, nul doute que des changements sont amorcés. Quelle empreinte la crise laissera-t-elle sur nos modes de vie et de consommation ? L’agence de Design Branding Lonsdale et INfluencia ont proposé hier une discussion avec experts pour en parler. Au menu : une analyse anthropologique du phénomène, réunissant Fanny PARISE, anthropologue et chercheuse à l’Institut Lémanique de Théologie Pratique de l’Université de LausanneDominique Lévy, Directrice Générale Adjointe de BVA, Félix Mathieu, Directeur du Planning Stratégique de LonsdaleIsabelle Musnik, Fondatrice et Directrice de la Publication d‘INfluencia, et Marc-André ALLARD, Directeur de l’Innovation et du Design Thinking chez Lonsdale.

Par ici un compte-rendu en 3 thématiques imaginées par Félix Mathieu, Directeur du Planning Stratégique de Lonsdale, explorant la manière dont la crise structure notre perception du réel et nos manières d’interagir.

Seuls et ensemble : Solidarité augmentée ou autarcie 4.0 ?

Pour les urbains habitués à l’anonymat, la crise fait naître de nouvelles solidarités locales, revisitant le rapport à l’autre par le biais de certains rituels comme celui de la fenêtre à 20h chaque soir. Pour les 4 millions d’exilés en campagne, le digital s’impose. Pour eux comme pour les autres, on devient seuls mais connectés. Émerge alors ce qu’Edgar Morin appelle la « communauté de destin ».

On note que l’inspiration ne manque pas et permet d’imaginer de nouveaux formats d’épanouissement social : nouvelles solidarités intergénérationnelles, poly-éducatives, boom du DIY, éducation a la maison, home entertainment, télétravail etc. Pour Fanny Parise, l’expérience de cette solitude impose une hybridation entre relation physique et digitale. « Paradoxalement, c’est le digital qui a permis de renouer avec la proximité et la solidarité par le biais d’outils venant pallier les mesures de distanciation physique », souligne-t-elle.

Des questions se posent : que restera-t-il des circuits d’entraide et solidarité demain ? L’économie circulaire peut-elle décoller ? Les marques : peuvent-elle pérenniser ce lien humain et solidaire tout en préservant l’autonomie de chacun ?

Selon Dominique Lévy, la tension est palpable. Avec d’un côté une aspiration au monde meilleur très présente et de l’autre la confiance qui l’est beaucoup moins. « Qui va être le catalyseur et le structureur de cette transformation ? Les marques ont  ici un rôle à jouer, rassurer leur cible est essentiel », précise-t-elle.

Dans les arbitrages de consommation, deux paramètres sont désormais à prendre en compte :

  • L’économique : plus de la moitié des Français se disent inquiets sur leur avenir économique et celui de leur employeur, ce qui traduit forcément des rapports de dépenses différents
  • La peur : quand on demande aux Français ce qu’il vont faire une fois libres, on observe une tension entre « ce que j’ai envie de faire » et « ce qui est dangereux pour ma sécurité »

L’apparition de ce nouveau paramètre implique donc que les marques soient rassurantes dans tous les aspects de leur consommation, du produit au packaging en passant par son point de vente. « À l’heure actuelle, 85% des Français sont rassurés par un label », explique Dominique Lévy, « cela montre bien que les tendances qui émergeaient avant la crise ne vont que se confirmer, avec d’une part le facteur écologie et éthique, et d’autre le facteur économique ». En effet, pour Fanny Parise, « le monde d’après ne sera pas différent mais les signaux faibles déjà identifiés et les nouvelles tendances vont se confirmer »

Les solidarités vont-elle perdurer ? Pas vraiment apparemment. Selon Fanny Parise, parler de société solidaire est compliqué, surtout dans des modèles comme les nôtres où « les individus sont encapsulés dans un ultra-libéralisme ». La solidarité comme injonction et le principe d’appartenance empêchant de garantir une réelle solidarité différente et inclusive.

Était-ce aussi une erreur sémantique de parler de distanciation sociale plutôt que physique ? « Une sémantique particulière s’est créée autour de la crise. Chacun interprète les signaux de la crise comme la confirmation de sa théorie : néolibéraux, écolos, chacun se voit conforté. Les solidarités en place s’amplifient, mais de nouvelles ne naissent pas pour autant », explique Dominique Lévy. « Si les médias comme miroir de la pensée collective tendent à polariser les événements entre incivilité et solidarité, c’est une résurgence d’une lutte des classes que l’on retient », poursuit-elle. Une opposition entre les premiers de corvée et les cadres protégés qui donnent des ordres en télétravaillant.

Sevrés pour de vrai ? Le consumérisme peut-il être challengé ?

« 60% des français pensent que la crise aura un impact durable sur la société, et seulement 12% disent qu’ils s’adonneront à des activités hédonistes (7% shopping, loisirs, 5% voyages) au sortir du confinement », constate Félix Mathieu. Cèderons-nous à la consommation impulsive ? Comment redynamiser l’économie de la séduction ? Comment créer de nouvelles occasions pour se mettre en valeur : le masque comme objet d’apparat ? La frugalité sera-t-elle dictée par la morale ou la nécessité ? « On peut se poser la question d’une polarisation des marques. D’un côté la marque ascétique : essentialiste, authentique, accompagnant, au bonheur et à la qualité vs la quantité. De l’autre, la marque dionysiaque : ultra-sensualité, négation des normes sociales, dissidence, libertarisme etc », poursuit-il.

Pour Fanny Parise : « les individus sont des menteurs de bonne foi : la crise crée une exacerbation entre ce que je veux faire et ce que je fais vraiment. Avant la crise, les inspirations liées à la consommation responsable tendaient à se démocratiser. Après la crise, c’est renforcé. Mais en ce même temps, l’envie d’un retour à la réalité avec un accès à la modernité et au confort qu’elle procure est palpable. Les individus sont donc coincés entre ces deux injonctions ».

Mais si l’écoresponsabilité est au menu, le critère économique l’est aussi plus que jamais. Comme le souligne Dominique Lévy, les clivages sont multiples : économiques, culturels et générationnels. « Tous les jeunes ne sont pas native responsables, cela dépend évidemment du contexte social et culturel, en termes de conscience et de moyens », souligne-t-elle.

Virtua-réalité : une nouvelle dimension dans notre quotidien ?

Selon Félix Mathieu, la sophistication de l’expérience de loisir à la maison implique de repenser le virtuel comme médium d’interaction majeur entre les individus et avec le réel. Remise de diplôme pour des étudiants japonais qui se fait via des robots, performance de Travis Scott sur Fortnite, digitalisation des événements etc : non seulement le virtuel nous protège du réel, mais il évolue pour devenir plus interactif, autorisant l’épaisseur relationnelle qui existe dans la réalité. Comment les marques peuvent naviguer entre ces deux mondes sans diluer leur identité ? Que peuvent-elles offrir dans des univers où l’on peut déjà tout avoir ? Quel sera l’impact de ce virtuel sur l’implication des gens dans la vie réelle ?

Pour Fanny Parise, ces nouveaux rites d’interaction sont à apprivoiser en intégrant les zones d’incertitudes propres à notre nouvelle réalité. On peut parler de « phygitalisation des modes de vie et de consommation ». Dominique Lévy ajoute : « dans le travail comme dans la consommation, on a appris à se passer d’un certain nombre de mouvements physiques. Ce que nous faisons dans le réel peut être effectué via le digital ». Là où hier 3% en moyenne des Français utilisaient le télétravail de manière plus ou moins régulière, la crise a fait évoluer ce pourcentage à 25%. Alors demain, pourquoi ne pas garder ces habitudes, plus sures et plus confortables ?

Par la journaliste Camille Lingre

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